Saturday, October 14, 2017

Edouard Ferlet - Think Bach, Op. 2 (2017)


Rien n’est moins aisé que de chroniquer un disque dans lequel l’artiste a déjà dit l’essentiel, avec une précision affolante. Avec Think Bach Op.2, Édouard Ferlet explique pas à pas sa démarche, ses doutes, toute la mécanique des affres de la création. Chose rare, il se fend d’un courrier très intime à son guide, à sa statue du commandeur, au Cantor lui-même devenu sujet d’étude et jeu de piste, environnement familier et constant effacement des cartes pour redessiner de nouvelles chasses aux trésors. En préambule, dans « Oves », secret processus entre infusion et effusions qui façonne le Prélude en sol dièse majeur, BWV 884 de son petit nom, Édouard Ferlet s’abandonne à Bach, qui apparaît dans l’ombre. Il met à sa disposition la panoplie entière de son talent de soliste : la main gauche puissante et galvanisée qui ordonne « Les Bacchantes » (BWV 1004) en allant chercher l’âme des cordes, son sens de la retenue qui caresse « Mécanique Organique » (BWV 866) avec une pointe de malice…

Les mots que Ferlet écrit à Bach, on aime en général les garder secrets. C’est un mélange d’admiration, d’amour et de souffrance qui permet de mettre en perspective l’obsession du pianiste et d’en mesurer l’importance. D’aucuns pourraient trouver « Mind The Gap », BWV 872, inconvenant ou iconoclaste avec sa rythmique guadeloupéenne enseignée par Sonny Troupé. Sous les doigts de Ferlet, tout acquis au maître, c’est un salut à la nécessaire modernité de l’intemporel. Il s’est passé cinq ans depuis le premier chapitre de Think Bach, et Ferlet s’est davantage approprié chacun des feuillets, à penser encore un peu plus ce matériel dans son entièreté, pas seulement pièce par pièce. Il a tant appris de son duo avec Violaine Cochard, et du tendre rapport au clavecin, qu’il est capable d’anatomiser le « Concerto n°5 en F minor » (BWV 1056) sans qu’aucun flux ni autre fluide ne suppure. Une opération à cœur ouvert qui ne laisserait s’échapper que de l’amour.

Pas seulement celui de Bach, mais de l’ensemble de sa légende, y compris le rôle discret et fondateur de « Miss Magdalena », sa femme, à qui certains exégètes attribuent la maternité de plusieurs partitions. Puisque le livret est fort détaillé, l’auditeur patient n’a plus qu’à se laisser submerger par les impressions et les images ; elles arrivent vite. Bach peut souvent être rapproché d’Ingmar Bergman par son excellence formelle et la poésie qui découle d’un désir sous-jacent, masqué par une austérité de façade. En écoutant Édouard Ferlet, on songe aux Fraises Sauvages. Bach y serait le vieux docteur Borg, conduit en voiture par le toucher agile du pianiste vers cette cathédrale où l’on est censé lui rendre honneur. Viens, je vais te montrer quelque chose, semble dire le maître de Leipzig à l’instant de faire un détour dans le magnifique « Crazy B » (BWV 988), sommet de l’album. Comme dans le film, l’hommage prend alors la tournure d’une rêverie contemplative hors du temps, qui affirme que l’éternité s’accommode sans sourciller de la modernité et de la surprise. Un parcours initiatique à rebours absolument fascinant.

1 Oves 5:17
2 Anthèse 5:20
3 Mind the Gap 4:45
4 Et si 5:26
5 Es ist Vollbracht 4:50
6 Les Bacchantes 7:33
7 Mécanique organique 2:18
8 Harpsichord Concerto No. 5 in F Minor, BWV 1056: II. Largo 4:04
9 Crazy B 4:19
10 Miss Magdalena 5:58